On a longtemps cru que Marco Polo (1254-1324) avait ramené,
de son long voyage en Asie, les pâtes dans son pays natal - il est en fait
Dalmate, mais la côte dalmate appartenait à la République vénitienne -, et plus
précisément à Venise, en 1296. La "pasta", emblème de la cuisine
italienne, était donc chinoise, et la fable avait son héros fondateur ! Une
croyance qui a eu la dent dure. Le célèbre chef Raymond Oliver parlait encore
de Marco Polo dans sa "Célébration de la Nouille" en 1965.
Pourtant, de nombreux
ouvrages ou études ont tenté de déconstruire le mythe depuis la fin des années
50. Pour Pierre-Brice Lebrun, auteur du "Petit traité des pâtes" (cf.
ci-dessous), cette légende autour de Marco Polo aurait été inventée par les
Américains, comme celle du père Noël tout rouge popularisée par Coca-Cola. Ce
serait le "Macaroni Journal", un organe de communication de la
National Macaroni Manufacturers Association, qui aurait lancé l’information en
1929. Dans une publicité, on voyait un membre de l’équipage de Marco Polo,
répondant au nom de "Macaroni", rencontrer des femmes en train de
fabriquer des fils de pâtes. Une légende reprise ensuite au cinéma, Gary Cooper
incarnant l’intrépide Marco Polo, en 1938, dans "The Adventures of Marco
Polo" coréalisé par Archie Mayo et John Ford.
Les diverses traductions du "Livre des
Merveilles", dicté par Marco Polo à l’écrivain Rusticello de Pise durant
sa captivité après la défaite de Curzola contre les Génois, y sont pour quelque
chose. Une traduction tardive du XVIe siècle mentionne, en effet, que les
Chinois employaient du blé, non pour fabriquer du pain, mais pour mettre au
point toutes sortes de pâtes. Pour Gregory Blue, auteur de l’article
"Marco Polo et les pâtes", qui a étudié les différentes traductions
du "Livre des Merveilles", il est cependant impossible d’être certain
que le célèbre navigateur ait fait mention de pâtes à propos de la Chine. Même
si la culture de la pâte y était bien présente lorsque Marco Polo la visite. On
y trouve, en effet, alors des pâtes de divers types (raviolis, tagliatelles
rouges colorées avec un bouillon de crevettes épicées ) et de plusieurs formes
(oreilles de porcelets, lacets, coupelles). Mais de nombreux documents du XIIIe
siècle évoquent déjà l’existence des pâtes dans la Péninsule !
En Italie, on connaît d’ailleurs déjà la façon de conserver
les pâtes. En fait, les pâtes sèches auraient été introduites en Italie par les
Arabes au IXe siècle, lorsqu’ils ont conquis la Sicile. La preuve de
l’existence des pâtes, avant même la naissance de Marco Polo, est donnée par le
géographe arabo-andalou Al-Idrisi qui, dans son "Livre de Roger",
paru au XIIe siècle, évoque des fabriques de pâtes situées à Trabia, près de
Palerme. Elles envahiront ensuite toute l’Italie par les voies commerciales.
Mais dès l’époque romaine, on mangeait de la pâte bouillie
sous forme de lasagne, car le mot apparaît dès l’Antiquité : en latin
"lasanum" (qui désignait la marmite qui servait à les faire bouillir)
qui s’est croisé avec "laganum" (pain). Il s’agissait déjà d’une
feuille de pâte, mais cuite directement sur le feu. Paru au IVe siècle, le
traité culinaire "De re coquinaria", communément attribué à Apicus
(vers 25 av. J.-C. - vers 37 ap. J.-C.), décrit ces lagana, que l’on farcissait
notamment de viande. Ce serait aux VIe et VIIe siècles qu’aurait, par contre,
débuté la véritable cuisson des pâtes dans l’eau, même si on semble bien loin
des lasagnes actuelles. Isidore de Séville parlait alors de ce pain/pâte fin(e)
bouilli(e) dans l’eau, puis frit(e) Mais c’est dans le "Liber de
Coquina", un livre de cuisine du début du XIVe siècle, que semblent
prendre forme les lasagnes actuelles.
Mais les pâtes sont encore plus anciennes. On retrouve leur
trace dans le plus vieux livre de recettes connu, un traité culinaire
mésopotamien datant de 1 700 av. J.-C. Pas étonnant finalement, puisque c’est
en Mésopotamie qu’a débuté la culture du blé, vers 9 600 av. J.-C. ! Ainsi, les
Mésopotamiens consommaient des risnatu ou des bapirru, des pâtes
"râpées" réalisées avec de la farine de blé et de l’eau et émiettées
dans un liquide bouillant. Les pâtes râpées ou émiettées sont ainsi la plus
ancienne forme de pâte connue. Aujourd’hui encore, en Italie, il existe un type
de pâte similaire, la pasta grattugiata, dont font partie les passatelli
d’Emilie-Romagne. Tandis qu’en Alsace, on réalise de cette façon les spätzle.
Les pâtes en lanières de type tagliatelles, fettucine,
linguine auraient été inventées en Perse préislamique. Sous le califat
abbasside de Bagdad, à partir du Xe siècle, on rencontre ces rishtas, lakhshas
et itriyyas qu’on cuit alors dans un bouillon de viande. En Europe centrale, on
trouve encore des pâtes héritières de cette tradition : laska en Hongrie,
lapsha en Russie, lokshina en Ukraine
En Italie, c’est le roi Ferdinand II de Naples (1469-1496)
qui engage l’ingénieur Cesare Spadaccini pour mécaniser la production des pâtes
et c’est à Venise, en 1740, qu’ouvre la première usine de pâtes avec les
premiers moules en métal ! La tradition des pâtes est depuis au cœur même de la
culture gastronomique italienne. On produit d’ailleurs des pâtes dans toute la
Botte, les principales régions productrices étant la Sicile, la Ligurie, les
Abruzzes et la Campanie.
Laura Centrella
Pour cet article, nous avons notamment utilisé un dossier
particulièrement intéressant publié dans le magazine "Culture" de
l’université de Liège et rédigé par Pierre Leclercq en février 2011. Rens. : http://culture.ulg.ac.be.
Source : http://ask.blogs.lalibre.be
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